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C’est le jour ou j’ai commencé à écrire ce récit.

Les soldats français sont entrés dans la ville.

Un grand poids semble parti du

Cependant, les allemands chassés de Reims ont réussi à s’emparer du fort de Brimont et de là-haut, apercevant nos troupes dans le terrain de Betheny, envoient sans cesse leur mitraille. C’est une canonnade encore plus effrayante que la veille parce que bien plus près.

A trois reprises différentes nous devons nous réfugier dans la cave, les obus allemands tombent jusque dans le dépôt du chemin de fer.

C’est une journée atroce la canonnade commencée le matin ne se termine qu’à sept heures du soir et encore une fois Reims s’endort à la lueur des incendies allumés dans les communes environnant la ville.

Gaston Dorigny
Dimanche 13 septembre, les soldats français sont entrés dans la ville

LA DÉLIVRANCE DE REIMS

Dimanche 13 septembre 1914

Nous sommes réveillés à 5 heures, par deux coups de fusil tirés dans le voisinage et entendus très nettement. Où en sommes-nous, que se passe-t-il et que nous réserve la journée de ce dimanche ?

A 6 heures, je suis dehors, me dirigeant vers la place royale ; dans le court trajet à effectuer pour y parvenir, je suis rejoint par M. luta, fondé de pouvoirs de la maison de champagne Maréchal & Cie et interprète volontaire à la Mairie, qui me dit en passant :

"Allons les voir."

A son air joyeux, j'ai compris qu'il s'agit de nos soldats. Il va vite, court presque ; je le suis un instant et il m'annonce que les Français sont dans l'avenue de Paris, depuis hier soir, 20 h.

Quelques minutes après, j'ai en effet le plaisir de voir un de nos cyclistes militaires traverser la place, puis, en descendant la rue Carnot, de croiser deux ou trois fantassins isolés, formant sans doute l'extrême pointe d'avant-garde du corps d'armée qui s'apprête à reprendre possession de la ville de Reims, car ils avancent prudemment, tenant en mains leur fusil, baïonnette au canon et, à hauteur du palais de justice, j'aperçois un groupe de quelques officiers. Malgré l'heure matinale, il y a déjà une animation considérable le long de la rue de Vesle. Tous les visages sont radieux et les drapeaux sortent aux fenêtres, les uns après les autres.

Je me hâte de rentrer, suffisamment fixé, pour annoncer, sans tarder, à la maison la bonne nouvelle de notre libération, et je pense, chemin faisant : "Nous allons donc respirer à l'aise". On ne peut, il est vrai, se défendre d'éprouver au moins de la gêne, même quand on n'aurait rien à se reprocher, lorsque des menaces sans cesse aggravées sont continuellement suspendues au-dessus d'une collectivité dont on fait partie. Espérons que le régime de l'occupation est bien fini. Il n'est plus question de sujétion. Nous avons retrouvé notre liberté.

En me voyant pavoiser, nos enfants eux-mêmes se réjouissent. Ils vont pouvoir enfin s'ébattre, car depuis plusieurs jours, nous leur avions expressément défendu de sortir en ville ; confinés à la maison, ils avaient dû se contenter de prendre un peu l'air dans la cour et le petit jardin de l'établissement.

C'est avec confiance et dans une grande tranquillité d'esprit que nous attendons nos troupes, qui certes, vont recevoir un accueil enthousiaste.

Dans le courant de la matinée, nous voyons arriver les premiers régiments de la 5e armée, commandée par le général Franchet d'Esperey.

Les 127e et 33e d'infanterie défilent dans la rue Cérès, montant vers le faubourg. Vient ensuite le 27e d'artillerie, qui fait halte tout le long du faubourg et de la rue Cérès, de la rue Carnot, de la rue de Vesle et laisse passer les 73e et 110e d'infanterie.

Nous ne nous lassons pas de regarder nos soldats. La foule s'est massée sur leur trajet. La ville est en fête ; le pavoisement est devenu général et sur la cathédrale ainsi qu'à la façade de l'hôtel de ville, le drapeau blanc a fait place aux couleurs nationales.

Les Rémois cherchent à manifester leur contentement en faisant plaisir aux troupiers.

A la maison Hennegrave (anciennement Petitjean) sur la place royale, on leur distribue en hâte, au fur et à mesure de leur passage, une quantité considérable de pain d'épice, de nonnettes, etc. L'un de nos voisins, plus loin, est occupé à verser dans les quarts qui lui sont tendus, du café chaud, et sans cesse, il retourne remplir sa cafetière dès qu'elle est vide. Le long de la rue Cérès, chacun tient à leur offrir soit du pain, du vin ou du chocolat, des cigares, des cigarettes, des allumettes, etc. Pour tout le monde, c'est un besoin d'expansion. Des bouquets sont remis à bon nombre d'officiers qui sont aussi heureux que leurs hommes de semblable réception. J'entends un capitaine d'infanterie, dont la selle est garnie de fleurs, dire en passant à un lieutenant du régiment d'artillerie au repos :

"C'est plus agréable que la retraite, hein !"

et celui-ci sourit en répondant :

"Ah oui".

Naturellement, l'espoir dans le succès définitif et rapide de nos armées, est plus vivace que jamais.

Tout à l'heure, j'ai causé avec quelques canonniers d'une pièce qui stationne à hauteur de notre rue de la Grue, particulièrement avec l'un d'eux, tout jeune, qui à son tour avait voulu faire plaisir à nos enfants, en leur donnant un biscuit de troupe, et, comme je m'étonnais que l'ordre d'avancer ne soit pas donné aux batteries que nous voyons immobilisées, depuis leur arrivée, tout le long des voies suivies par l'infanterie, il m'a répondu très simplement :

"Nous n'avons plus rien dans nos caissons ; que pourrions-nous faire, sans obus ?".

Nous nous sommes mis réciproquement au courant des événements de la semaine et il m'a appris que la bataille dont nous avons eu les échos, avait commencé le 6, que son régiment, dès ce jour, prenait part aux opérations dans la région d'Esternay et qu'il n'avait cessé de donner jusqu'à hier, tout près de Reims.

A 13 heures, le général Franchet d'Esperey (ancien lieutenant-colonel du 132e d'infanterie, à Reims) vient à l'hôtel de ville, avec son escorte, pour saluer la municipalité, qui s'y tenait en permanence.

Vers 17 h 1/4, tandis qu'à la maison, nous nous entretenions avec mon beau-frère L. Montier et ma sœur de l'heureuse délivrance de notre ville, une vive fusillade assez proche, se fait entendre. Nous montons sur la terrasse et nous voyons un aéroplane - allemand, très probablement - filer vers l'est, poursuivi par des détonations de shrapnells ; il semble échapper ; puis d'autres aéros en reconnaissance apparaissent. C'est pour nous, un spectacle nouveau - nous ne pouvons rien en déduire.

Nous avons su que les coups de fusil entendus ce matin, avaient été tirés par un soldat, de la place royale, sur deux Allemands, l'un montant un cheval et l'autre conduisant une charrette, qui filaient par la rue Colbert. Ils n'avaient pas été atteints, mais arrivés près de la porte Mars, l'un d'eux ayant fait feu sur les premiers éclaireurs qui circulaient vers cet endroit, les nôtres ripostant, avaient tué les chevaux et les deux hommes.

Des prisonniers, traînards ou isolés, n'ayant pas été prévenus à temps d'avoir à déguerpir, ont été faits en ville, par-ci, par-là, en certains endroits par groupes. Ils se laissaient prendre lorsqu'ils étaient découverts. Les gamins, ce matin, indiquaient aux soldats où ils pouvaient trouver des Boches, disant :

"Venez par ici, j'en ai vu un", ou bien : "il y en a encore là".

Chez notre boulanger, rue Nanteuil, il s'est passé, hier, une scène amusante. Un Feldwebel était venu dans la matinée, pour réquisitionner le pain et, afin de s'assurer qu'il ne serait rien prélevé, pour la clientèle, sur la fournée en cours, il avait laissé sur place, un homme de faction. Lorsqu'il était devenu évident que la retraite se précipitait, quelques ménagères s'étaient risquées à venir voir s'il ne serait pas possible d'avoir tout de même de quoi manger. L'Allemand était toujours là, de surveillance et c'est alors qu'un client facétieux arrivant à son tour, lui dit brusquement :

"Mais, mon vieux Fritz, si tu ne veux pas rester ici tout le temps, c'est le moment de f... le camp".

Aux éclats de rire qui suivirent cet avertissement, il comprit qu'il n'avait qu'à rejoindre au plus vite, ceux qui passaient encore rue Cérès. '

- Jusque 18 h 1/2, le canon a tonné fortement, mais on est en plein à la confiance ; cela paraît moins inquiétant que la veille et peut s'expliquer par ce fait que les troupes françaises ont repris position à peine hors de la ville, aussitôt après l'avoir traversée, afin de continuer le mouvement offensif déclenché par la bataille de la Marne, sur laquelle nous avons été très heureux de pouvoir obtenir aujourd'hui quelques détails, venus confirmer le peu que nous en avions appris, pendant l'occupation.

- Le Courrier de la Champagne, dans son numéro de ce jour, dit ceci, intitulé : "Du calme jusqu'au bout".

"Ainsi que nous avons eu occasion de le dire déjà sous diverses formes, il faut que, pour le moment, nos concitoyens restent très réservés dans leurs appréciations sur les événements.

Nous sommes encore trop près des lignes de combat pour qu'il ne soit pas nécessaire d'être prudent et calme, afin d'éviter des représailles éventuelles."

Il publie également cette nouvelle :

" Le prince Henri de Prusse à Reims

Le prince Henri de Prusse, cousin de l'empereur se trouvait hier de passage à Reims. Il a passé la nuit (du 11 au 12, évidemment) à l'hôtel du Lion d'Or, où il occupait les chambres 22 & 23. Quatre personnalités rémoises ayant été demandées comme otages, pour passer la nuit dans des chambres voisines, la municipalité avait désigné MM. Fréville, Guédet, Le Jeune et Rohart.

Puis, il donne les prix pratiqués le 12 sur le marché, disant :

Le grand marché du samedi était relativement bien approvisionné.

Les légumes et primeurs n'ont pas subi de hausse appréciable.

Des fruits avaient été amenés au début du marché, particulièrement un lot de raisins. Toute cette marchandise a été, en presque totalité réquisitionnée.

Le beurre fait toujours défaut."

Enfin, sur les événements qui se sont passés hier, tout près de Reims, il s'exprime ainsi :

" La bataille de Reims et les tirs de l'artillerie

C'est au bruit du canon et de la fusillade qu'a été rédigé et composé le présent numéro. Nous félicitons et remercions nos collaborateurs, d'avoir exécuté comme d'habitude leur labeur quotidien, sans souci de l'orage de balles et de mitraille qui faisait rage autour de nous.

Une bataille extrêmement vive a eu lieu, aux portes de notre ville, bataille qui portera sans doute dans l'Histoire le nom de bataille de Reims.

Commencée dans les premières heures de la matinée, elle a atteint son maximum d'intensité à partir de midi, pour ne se terminer qu'à la nuit.

Notre consigne nous empêche d'en dire plus long sur cette bataille. Mais nous voudrions, tout au moins, donner ici quelques indications sur les tirs de l'artillerie, sujet tout d'actualité qui intéressera certainement beaucoup de personnes. "

A la suite de cette partie d'articles, le journal donne des explications d'ordre technique sur les bouches à feu utilisées actuellement par l'ennemi et par nos armées, leurs calibres, leurs portées, les différentes sortes de projectiles qu'elles envoient, afin de communiquer aux Rémois une idée aussi précise que possible du grandiose duel d'artillerie qu'ils ont si bien entendu.

- Après dîner, un bruit régulier et prolongé m'attire vers la rue Eugène Desteuque. J'y vois passer, l'arme à la bretelle, les hommes d'un des régiments d'infanterie dont j'ai retenu le numéro ce matin, tandis qu'ils étaient dirigés à l'extrémité de la ville par la rue et le faubourg Cérès, alors qu'ils en reviennent maintenant pour être conduits on ne sait où...

Quelques voisins seulement sont venus là, parmi lesquels le commis, d'une quinzaine d'années, de l'épicerie Jacquier, rue Cérès, qui bientôt, n'y tenant plus d'obtenir une explication du mouvement rétrograde qui s'effectue, demande à plusieurs reprises, à haute voix :

"Eh ben quoi, les gars ! ça ne va donc pas, par là",

et il traduit ainsi exactement le sentiment de curiosité de tous.

Personne ne lui répond ; les soldats sont fatigués et, dans l'ensemble, paraissent assez sombres. Le jeune garçon épicier recommence sa question, du même ton gouailleur, au moment où arrive un sergent-major, à la droite de sa compagnie ; celui-ci tourne la tête en marchant, et répond seulement, comme importuné :

"Non, ça ne va pas".

Le sérieux de cette courte réplique, contraste tellement avec l'air de plaisanterie que voulait avoir la question, que j'en ressens une vive impression.

D'un autre côté, des sapeurs du génie viennent de placer au travers de la rue Nanteuil, à son extrémité sur la rue Cérès, un camion de la maison Laurent & Carrée, resté dehors ; ils se disposent à passer la nuit auprès de cet obstacle bien précaire, s'il doit faire office de barrage.

Les pensées se heurtent ce soir dans ma cervelle.

Redouterait-on un retour offensif de l'ennemi ? Non, cela ne paraît pas possible. Nous avons vu partir ses dernières unités en pagaye, hier après-midi, et nous avons constaté que, dans la poursuite, elles étaient presque talonnées par les nôtres.

Rien ne nous dit cependant que le gros de l'armée allemande, qui a contourné notre ville, a effectué sa marche arrière dans le même désordre.

Nous ne savons pas et malgré le bel optimisme de la journée, je rentre soucieux, en désirant ardemment que la délivrance de Reims soit définitive.

Nous nous endormons au son du canon. Il ne gronde pas loin et ses détonations ne cesseront pas de la nuit.

Paul Hess dans La vie à Reims pendant la guerre de 1914-1918

On s’était couché la veille demi-vêtue, tenant à sa proximité tout le nécessaire pour une fuite précipitée si les circonstances l’exigeaient ; aussi le sommeil avait-il été plus que léger, d’autant plus que vent et pluie faisaient rage.

On ne dormait donc que d’un œil quand à 5H20 un bruit d’armes et des cris retentissent dans la rue, vite, Mme P.D. s’élance à la fenêtre d’où un rapide coup d’œil lui permet de saisir la situation et de pousser un puissant « vive la France » qui met en une seconde la maisonnée sur pieds.

Oui, ce sont des pantalons rouges qu’on aperçoit, pourchassant les Allemands restés en ville !

Elle est inénarrable, la joie folle du moment et nul doute que s’il avait pu contempler un tel spectacle, et malgré la dignité de sa fonction, le nouveau pape Benoit XV n’eût lui-même dansé une gigue d’allégresse !

La toilette est tôt faite, et c’est avec une hâte fébrile qu’on vole vers le passage des troupes acclamant successivement le 2e Chasseurs à cheval, les 15e et 27e d’Artillerie, les 33e et 127e d’Infie en assistant aux effusions et aux distributions de toutes sortes dont on les gratifie.

La journée s’écoule au milieu d’une saine et patriotique émotion qui ferait oublier les longues et si tristes heures vécues la veille si le canon, qui reprend de 11 à 19H15, ne nous ramenait à des préoccupations moins riantes.

Nos troupes nous couvrent, en effet, mais les forts et les hauteurs environnants n’en sont pas moins occupés par l’ennemi qu’il faut en déloger.

Vers 18H les mitrailleuses tonnent aussi, mais sans succès nous semble-t-il ; elles visent un aéroplane allemand qui survole effrontément la ville.

À 18H45, Sohier accourt, annonçant la visite en bombe, reçue à l’instant, d’André Ragot demandant à embrasser sa mère.

Ne disposant que de 5 minutes, il refuse de pousser jusqu’au 23, et file, sans dire quoi que ce soit qui permette de suivre sa trace.

P.D. part aussitôt communiquer la nouvelle à Couturier, et ensemble nous regrettons de n’avoir pas d’indication suffisante pour le découvrir, d’autant plus que, par arrêté municipal de ce jour, la circulation est interdite à partir de 20 heures.

C’est à ce moment que se posent à nos coins de rues des sentinelles chargées de surveiller le mouvement des automobilistes, car on craint que des patrouilles allemandes, ainsi faites, ne viennent, en vitesse, se rendre compte de nos dispositions.

Des barricades mobiles sont en plus établies avec tous moyens de fortune : caisses, gradins, échelles, etc.

Paul Dupuy - Document familial issu de la famille Dupuis-Pérardel-Lescaillon. Marie-Thérèse Pérardel, femme d'André Pérardel, est la fille de Paul Dupuis. Ce témoignage concerne la période  du 1er septembre au 21 novembre 1914.

Source : site de la Ville de Reims, archives municipales et communautaires

Dimanche 13 Septembre 1914.

C’est aujourd’hui dimanche. Il est six heures du matin. Nous sortons de chez Pommery et que voit-on sur le boulevard ? Trois têtes carrées, deux en voiture et un en vélo. Ils sont poursuivis par les hussards, mais ils ont de l’avance. Ils n’ont plus le sourire et ne disent plus comme quand ils venaient chez nous : « On est bien à Reims, Châlons pas si bien, mais Pariss, oh Pariss ! Heureux tout à fait ». Eh bien mes pauvres vieux, vous leur tournez le dos.

Nous arrivons chez maman. Elle se recouche tout de suite car elle n’est pas encore rétablie. Nous nous faisons un bon café mais tout d’un coup un cri : Voilà les Français ! Et en effet ce sont nos soldats. Papa veut mettre son drapeau et Marguerite court pour donner un bouquet au premier soldat quand Mlle Tassaut la bousculant, l’offre la première. Mais elle ne s’attendait pas sans doute à ce que Marguerite allait lui dire devant tous : « Comment, Mademoiselle, vous osez offrir une fleur à un Français avec la même main qui a serré celle des Prussiens pas plus tard qu’hier et que vous vous êtes fait promettre le mariage par un des leurs ? ». « Tout ce que j’ai fait, a-t-elle répondu, c’était pour qu’ils respectent le quartier ».

Je m’en retourne chez nous car sans doute que je vais avoir de l’ouvrage. En effet, à peine la porte ouverte, le monde arrive en foule. On vient chercher du café, du sucre, du chocolat, des sardines… Enfin en une heure mon magasin est presque vide, et tout cela pour porter aux soldats qui font halte contre la caserne. Ce sont des hussards et moi aussi, je veux aussi porter quelque chose. Je fais un bon punch plein une casserole et prenant mon coco qui tient le verre, tu penses que j’ai été la bienvenue. « Madame, m’ont-ils dit, c’est une gâterie et nous avons si froid que c’est plaisir à nous de l’accepter. Comme remerciement, nous permettez-vous d’embrasser votre bébé car presque tous, nous en avons et nous en sommes privés ? ». Ton petit cadet s’est laissé faire et il n’a pas dit « Méchants ».

Pauvres garçons ! Je les interroge pour savoir si ton régiment vient sur Reims. Ils ne savent pas mais j’ai espoir que tu y viendras. Je t’ai préparé un petit paquet de bonnes choses et de chauds habits. Oh si cela était, quel bon bec je te ferais. Mon espoir ne sera peut-être pas vain.

Tiens, voilà papa. Maman et Charlotte arrivent. Qu’y a-t-il encore ? « Veux-tu nous recevoir ? me dit maman. Nous avons apporté notre dîner. On ne te gênera pas. Figure toi que l’artillerie vient de poser des canons en face de nos maisons et ils ont commencé à tirer. Les artilleurs ne nous ont même pas laissé le temps d’emporter quoi que ce soit. Nous n’avons que nos papiers. Laissez-nous, ont-ils dit, et partez tout de suite. Il faut que personne ne reste, cela nous gênerait car les Prussiens pourraient répondre. Mais nous allons les déménager et ce soir ce sera fini. Vous pourrez revenir ».

« Eh bien, dis-je à maman, restez là, il serait malheureux que je vous repousse. La maison est grande et vous coucherez là ; comme ça je ne serai pas seule ».

Nous dînons tranquillement et tout d’un coup le bruit que nous commençons à connaître se fait entendre : ce sont nos canons qui tirent. Mais quel est ce sifflement ? Ce sont eux qui répondent car ils se sont installés au fort de Berru puisque ces forts étaient libres. Ah maudits Prussiens. Pendant une heure sans interruption l’un et l’autre continuent et à un moment un coup plus formidable, des cris et des plaintes arrivent jusqu’à nous. Tant pis, je vais voir ce qu’il y a. Nous sortons rue de Beine :  rien ; rue Croix St Marc : cette fois-ci j’en ai encore froid. La maison de Mme Soriaux, Albert et Marcel, ses fils, tous morts ; Charlotte Soriaux, les jambes coupées, est morte le long du trajet ; par contre Mme Walter n’était que légèrement blessée.

Je n’en reviens pas qu’un obus puisse faire tant de choses. Je frémis en pensant à M. Soriaux quand il saura la nouvelle. Mais n’ai crainte, mon Charles, je ferai tout ce que je pourrai pour garantir ton coco. C’est sans doute fini car on n’entend plus rien. Ils ont mis un drapeau blanc au fort, dit-on. Mais les Français n’y prennent garde, ils connaissent leur ruse.

Voici la nuit, on va pouvoir dormir tranquille. Avant de m’endormir, je pense beaucoup à toi. Sans nouvelles, où peux-tu être ? Mon pauvre coco, je lui fais croiser ses petites mains « Petit Jésus, garde la vie à mon petit papa Charles, qu’il n’ait ni faim ni froid ». Pauvre tit cadet. Si tu le voyez, mon Lou, comme il devient grand et il ne veut plus me quitter. Il te reconnaîtra, vois-tu, quand tu reviendras.

Je t’aime toujours et je t’attends. Ta Juliette.

Hortense Juliette Breyer (née Deschamps, de Sainte-Suzanne) - Lettres prêtées par sa petite fille Sylviane JONVAL

De sa plus belle écriture, Sylviane Jonval, de Warmeriville a recopié sur un grand cahier les lettres écrites durant la guerre 14-18 par sa grand-mère Hortense Juliette Breyer (née Deschamps, de Sainte-Suzanne) à son mari parti au front en août 1914 et tué le 23 septembre de la même année à Autrèches (Oise). Une mort qu'elle a mis plusieurs mois à accepter. Elle lui écrira en effet des lettres jusqu'au 6 mai 1917 (avec une interruption d'un an). Poignant.(Alain Moyat)

Il est possible de commander le livre en ligne

Tag(s) : #Paul Hess, #Famille Dorigny, #1914, #Paul Dupuy, #Juliette Breyer
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